La transition énergétique en Aquitaine

La transition énergétique en Aquitaine
La transition énergétique en Aquitaine
A lire, un article paru dans le journal le Monde à la suite de la venue en Aquitaine de M le Hir, journaliste.

Dans la petite cité girondine de La Réole (4 200 habitants), sur les bords de la Garonne, on peut visiter des remparts médiévaux, un château fortifié, un prieuré bénédictin, des maisons à colombages. Ou, si l'on se tourne vers le futur, une chaufferie au bois flambant neuf. Approvisionnée par une entreprise forestière locale, en circuit court, elle alimente, au long d'un réseau de 2,5 km, le centre hospitalier, la maison de la petite enfance, les écoles, le centre de formation agricole, la résidence pour personnes âgées, la maison de santé rurale et, au passage, quelques particuliers.

Sa particularité est d'être gérée par une régie municipale multiservices, également chargée de l'électricité, de l'éclairage public, du gaz naturel, de l'eau potable et de l'assainissement. « Avoir la maîtrise de l'énergie nous donne une relation de proximité et de confiance avec nos administrés, explique le maire, Bruno Marty, professeur de mathématiques dans le civil. Notre objectif n'est pas de faire des profits, mais de rendre le meilleur service au prix le plus bas. »

Cette chaufferie au bois, l'une des cinq exploitées – toutes en régie – dans le périmètre du Syndicat mixte inter-territorial du Pays du Haut-Entre-deux-Mers (SIPHEM, 103 communes, 47 000 habitants), illustre l'émergence des « territoires à énergie positive », aussi appelés TEPOS. Des collectivités, ou communautés de communes, qui « visent à réduire au maximum leurs besoins énergétiques et à les couvrir par les énergies renouvelables locales », selon la définition du Comité de liaison énergies renouvelables (CLER) qui, en France, anime cette démarche. A la clé, « la réappropriation des questions d'énergie par l'ensemble des citoyens, élus et acteurs socio-économiques ».

SUR LA VOIE DU « 100% RENOUVELABLES »

Chez nos voisins européens, le mouvement est déjà bien amorcé. Sur un tiers du territoire national autrichien, et un quart du territoire allemand, les communes ou groupements de communes sont engagés sur la voie du « 100 % renouvelables ». Le canton autrichien de Güssing couvre ainsi la totalité de ses besoins énergétiques à partir de ressources locales. Autres exemples, l'île de Samsoe, au Danemark, et celles d'El Hierro, en Espagne, sont autonomes en électricité grâce aux énergies du vent et de l'eau.

Lire : L'île d'El Hierro, bientôt 100 % autonome en énergies renouvelables

Dans l'Hexagone, le réseau des TEPOS commence seulement à se structurer. Il fédère pour l'instant une quarantaine de zones rurales, dont les quatrièmes Rencontres nationales, du 24 au 26 septembre à Mimizan (Landes), ont rassemblé plus de trois cents participants.

Une impulsion nouvelle doit lui être donnée par la loi sur « la transition énergétique pour la croissance verte » portée par la ministre de l'écologie, Ségolène Royal, et débattue à l'Assemblée nationale à partir du 1er octobre. Le texte prévoit, dans son premier article, que « l'Etat, les collectivités territoriales, les entreprises et les citoyens associent leurs efforts pour développer des territoires à énergie positive ». Et la ministre a lancé un appel à projets pour la création de 200 d'entre eux, avec un financement global de 150 millions d'euros. « Le ministère doit jouer la complémentarité avec les dynamiques territoriales existantes pour en démultiplier l'efficacité, plutôt que de réinventer la poudre », estime à cet égard Yannick Régnier, du CLER.

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MODÈLE À BOUT DE SOUFFLE

Car les régions n'ont pas attendu l'intervention de l'Etat pour s'engager dans l'aventure. L'Aquitaine en a été pionnière, suivie par Rhône-Alpes et la Bourgogne. « Dès 2012, nous avons lancé des appels à manifestation d'intérêt pour des territoires à énergie positive, relate Peggy Kançal, conseillère régionale (EELV) des Landes, déléguée au plan climat-énergie aquitain. Nous avons trouvé des élus locaux fourmillant d'idées. Le modèle énergétique français centralisé est à bout de souffle. Dans les régions peuvent naître des solutions nouvelles, pour peu qu'on motive et qu'on fédère tous les acteurs. »

Sept projets ont ainsi été retenus, mobilisant 199 communes et 113 000 habitants. La région apportera un appui technique et accompagnera les initiatives par une enveloppe totale de 400 000 euros. Ici, il s'agit d'un parc éolien ou d'une ferme solaire. Là, de valorisation de la biomasse ou de géothermie. Ailleurs, d'une centrale hydroélectrique ou d'une installation houlomotrice. Des réalisations parfois modestes mais qui, mises bout à bout, esquissent un nouveau paysage énergétique. « Certains territoires sont mieux pourvus que d'autres en ressources énergétiques pour tendre vers le 100 % renouvelables, observe Peggy Kançal. Nous nous inscrivons dans une démarche de solidarité énergétique entre zones rurales, semi-rurales et périurbaines. »

BOIS, SOLEIL ET BARRAGES

Au Pays du Haut-Entre-deux-Mers, les élus avaient pris les devants en ouvrant, à La Réole, une Maison de l'habitat et de l'énergie qui propose à la population un « guichet unique » en matière de logement, de rénovation thermique et de recours aux énergies renouvelables. « Ce n'est pas avec les seules forces du marché que l'on arrivera à une société du bien-être qui préserve la planète pour les générations futures, plaide Michel Feyrit, président du SIPHEM et adjoint au maire de la bourgade de Mongauzy. Le projet de TEPOS permet de passer de la théorie aux applications concrètes. »

Cet ingénieur a fait le compte : « Aujourd'hui, dans notre territoire, la facture énergétique moyenne par habitant est de 2 500 euros, avec une consommation couverte à hauteur de 6 % seulement par la production locale, principalement à partir de bois. Le but est de parvenir, un jour, à une autonomie complète. » A côté des chaufferies au bois sont à l'étude le développement du solaire thermique, une filière de biocombustibles extraits de résidus agricoles (sarments de vigne ou marc de raisin), l'aménagement de petits barrages sur la Garonne ou ses affluents, ou encore un système de turbinage couplé au réseau d'eau potable.

LES CITOYENS ASSOCIÉS AU CAPITAL

Plus au sud, dans l'aire de la communauté de communes de la Haute-Lande (6 000 habitants), la tempête Klaus de janvier 2009, qui a dévasté la pinède, a été le déclencheur. « Nous avons décidé de tirer parti de notre soleil et de notre vent et, plutôt que de les vendre à des spéculateurs, de les exploiter nous-mêmes », raconte Patrick Sabin, maire du village d'Escource (Landes) et vice-président du groupement intercommunal. Ainsi est née l'idée d'une société d'économie mixte dédiée à la production et au financement d'énergies locales. Aux côtés des collectivités et d'industriels, les citoyens seront associés, à hauteur de 15 %, à son capital de 500 000 euros.

Première réalisation : des toilettes publiques chauffées et éclairées par des panneaux solaires hybrides, mis au point par la PME girondine Base Innovation. Un parc éolien est aussi en gestation, ainsi qu'une production de biogaz pour alimenter une flotte de véhicules. Et des formations professionnelles aux métiers du bois-énergie sont en chantier.

« Les territoires ruraux sont pauvres en ressources financières, mais riches en ressources naturelles, souligne Sandrine Duprat, directrice de la communauté de communes. Tous les acteurs locaux, élus, citoyens, artisans, agriculteurs, défenseurs de l'environnement, doivent être impliqués dans une démarche qui est source de développement économique et de création d'emplois. »